par Stéphane Zimmer
Le tuishou apporte beaucoup à la pratique, mais il n’est pas toujours enseigné. Comment cela s’explique-t-il ?
Il faut distinguer le tuishou d’école et le tuishou de compétition.
Le tuishou apporte une dimension ludique à l’enseignement. Ça change le rythme d’un cours. C’est plus relationnel aussi.
Mais il n’est pas facile à enseigner. Il y a des principes et peu de cadres.
Le même mouvement proposé ne donne pas la même chose selon la personne avec laquelle on le fait. On est à deux, c’est déstabilisant. L’autre ne réagit pas forcément comme on attend. Il y a quelque chose de très particulier à l’instant et à la personne. C’est une question d’adaptation. Et en même temps, les principes restent les mêmes que dans la forme…
Est-ce parce qu’il est très répétitif que le tuishou ennuie ?
C’est quelque chose de très subtil mais qui passe par des exercices finalement assez répétitifs.
L’apprentissage passe par des formes de tuishou. Il faut faire beaucoup de « cercles ».
Une répétition qui peut être fastidieuse quand on n’en comprend pas l’essence.
Il faut à la fois répéter les exercices et y mettre beaucoup de compréhension, d’intelligence.
Cela développe une sensibilité corporelle, dite « kinesthésique ». C’est-à-dire qu’en touchant une personne au niveau du bras, on sent son dos, ses pieds, et comment il s’est organisé.
L’adaptabilité aussi vient du développement dans la répétition.
Mais au moment de l’action, on a la sensation de ne rien faire. Et c’est quelque chose de frustrant : quand ça marche, on a l’impression de n’avoir rien fait !
« Ne rien faire, mais être capable de s’organiser pour que ça arrive ». C’est profondément une façon de voir taoïste. On se rend compte qu’« en faisant moins on fait plus » comme disait Moshé Feldenkrais. Ce n’est pas facile à enseigner, et pas facile à pratiquer.
Le tuishou est-il un combat ?
C’est un exercice de combat, sans être le but recherché. Le tuishou d’école permet d’avoir une palette de mouvements à disposition.
Les personnes viennent au taichi chuan pour la forme. C’est pourquoi certaines n’aiment pas apprendre le tuishou. On se confronte à sa façon de faire et de se tenir corporellement. On se rend compte de nos déséquilibres, des blocages dans la transmission du mouvement, de nos raideurs et manques d’adaptation. Il donne des clefs pour apporter plus de fluidité et la stabilité dans la posture, pour développer la capacité à mobiliser son énergie comme il faut et quand il faut.
Dans le tuishou d’école, on peut apprendre à placer les mouvements, avec les 8 potentiels.
Pour apprendre ça, il faut un cadre précis. Mais le cadre, ce n’est qu’un moyen. C’est un cadre d’exercice, ce n’est pas une finalité.
La réalité d’un combat se résume finalement à la maitrise de peu de mouvements.
On dit souvent : « Fais la forme comme si tu avais un adversaire, et quand tu es face à un adversaire, fais comme si tu faisais la forme », est-ce un bon principe ? n’est-ce pas nier l’autre en tant que personne, et en combat, s’exposer à un danger ?
Je ne nie pas l’autre – je suis profondément en relation avec lui car j’ai lâché mon intention de placer un mouvement contre lui. Ce que tu lâches, ce n’est pas la relation à l’autre, c’est l’intention de le faire tomber.
Quelles sont les constantes du tuishou dans les différents styles de taichi chuan ?
Ce qui est en commun, c’est « faire des cercles », et « relâcher ». Ensuite, cela dépend beaucoup de la position du pas et des pieds. Les pas sont plus ou moins longs, larges, et la façon d‘absorber et d’esquiver sera différente selon la position. Selon le type d’exercice pratiqué dans l’école, ça développera plutôt tel ou tel mouvement.
Les règles de compétition ont tendance à modifier l’art martial. Comment ont-elles été définies ?
Assez peu de choses sont autorisées en compétition, finalement pas de balayage, ni de barré avec la jambe, pas de frappe, ni de projections.
On a limité beaucoup de choses, que l’on peut réintroduire avec l’augmentation du niveau.
Les règles ont été créées à la fin des années 90, pour permettre de participer à des compétitions organisées à l’étranger. C’était important pour avoir une reconnaissance de la discipline.
Au départ, elles ont été posées avec deux grands axes : développer ce qu’est le tuishou dans son essence et protéger, éviter les blessés.
Deux pays avaient déjà organisé des compétitions : Angleterre et Hollande et l’idée était de poser des règles en rapport avec ce qui se faisait en Europe, pour pouvoir participer. Avoir un fond commun dans la Fédération européenne. Un Hollandais est venu en stage pour exposer les règles. On a repris les grandes lignes, mais avec une attention forte sur les saisies.
En Angleterre, il y avait aussi des compétitions de sanda, où participaient interne ou externe
On était peu expérimentés, et au premier stage d’arbitrage sur tatami, il y a eu des blessés.
Les règles ont aussi été créées pour des considérations parfois très pratiques. Par exemple, le cercle dans lequel a lieu la compétition habituellement était devenu un carré, car c’est plus facile à dessiner sur les tatamis !
Pourquoi interdire les saisies ?
Si tu saisis, tu raidis ! Ce n’est pas une interdiction, mais ce n’est pas recommandé. Une saisie, c’est donner une chance à l’autre !
Au départ on a interdit les saisies. Puis, on a admis la saisie brève. Avec l’autorisation des saisies, les pratiques deviennent grossières.
Elles sont admises en Angleterre, car cela permet d’agir sur des points d’acupuncture.
Il y a beaucoup d’interdictions, et ça donne quelque chose de pas très médiatique. Ça reste pour les connaisseurs qui connaissent un mouvement. Ça reste subtil.
La compétition de tuishou reste marginale. Les règles de compétition n’influencent pas tellement la qualité du taichi.
La compétition n’est-elle pas contraire à l’esprit du taichi chuan ?
Une rencontre de tuishou est une épreuve : on voit vite ce qu’on est capable de faire ou pas, et cela crée une énorme tension. Cela déclenche de l’agressivité. C’est intéressant d’être confronté à cet aspect-là, à la tendance à se mettre à côté de la règle.
Même s’il y a une personne heureuse (le gagnant) et une malheureuse (le perdant) cela n’enlève pas les qualités.
Si je me fais l’avocat du diable, je dirais que ce devrait être une épreuve obligatoire pour vérifier à quel point l’envie de gagner peut être présente du fait de la situation. La compétition fait beaucoup gonfler l’ego. Mais un ego fort, c’est important.
Et puis, tu es confronté à l’autre et d’une certaine façon à l’autre qui veut te détruire – il y a cette forme de violence. Même si c’est symbolique. On en tire quelque chose. Un vécu, une expérience.
Le tuishou a-t-il un impact médical ?
Un vrai contact, sentir, mettre juste ce qu’il faut de force, une pratique de tuishou à l’écoute, on en sort en forme. Quand on est dur et en force, on sort fatigué.
On en vient à sélectionner les partenaires. C’est bien d’avoir des partenaires privilégiés, et de changer de temps en temps.
Sur le plan médical, ça met en évidence les points faibles. Ça donne les moyens, aussi, de corriger. Et du fait du lien corps et affectif, ça travaille directement sur certains nœuds de la personnalité.
Propos recueillis par Jean-Marc Josset en mai 2008
Ecrit par Stéphane Zimmer
Stéphane Zimmer a pratiqué le taichi chuan style Yang de l’école Tung dès avant la création de la FAEMC en 1989.
Fidèle parmi les fidèles, il a contribué avec constance, conviction et détermination à l’esprit et à la vie de notre fédération :
Il est devenu membre du Collège Technique des arts martiaux chinois internes en 2008, siégeant aussi régulièrement comme jury lors des examens fédéraux.
Particulièrement interessé par le tuishou, il a longtemps été arbitre et membre des comités d’organisation des compétitions fédérales. Il en est devenu le principal pilote en 2014. Il a été arbitre invité dans de nombreuses compétitions internationales à Oxford, Saint Pétersbourg, …
Réputé également pour le tuishou spécifique à son école, Stéphane a été invité à conduire un atelier lors des Rencontres de tuishou interstyles de Laillé en mars 2017.
Il a été membre du Comité Directeur de la FAEMC de 2014 à 2018.
Stéphane a également largement partagé sa passion pour la méthode Feldenkrais, pour laquelle il était praticien certifié.
Agrégé en mécanique, il enseignait au Lycée Diderot à Paris, autre terrain de ses magnifiques talents de pédagogue. Il aimait à évoquer une mémorable démonstration « taichi chuan et saxophone », qu’il y avait présentée avec un collègue.
Stéphane nous a quittés en juin 2018, peu de temps après son ultime coup de maître, Europa Taichi 2018. Cette compétition est arrivée grâce à lui à l’apogée de son genre, réunissant dans une bonne humeur partagée et une organisation sans faille des pratiquants venus de toute l’Europe.